Article publié dans The Conversation, le 18 mars 2018
Coordonner l’ensemble des tâches d’un projet complexe nécessite une planification adaptée aux objectifs, ainsi qu’une organisation et une maîtrise de tous les aspects de la conduite du projet. En désignant un médiateur capable d’anticiper les dysfonctionnements et les conflits qui pourraient émerger entre les différents intervenants, il est possible de limiter les risques d’échec.
À projets complexes, intervenants multiples
Pour être compétitives, les entreprises doivent mettre en œuvre une stratégie adaptée. Les managers participent à cette stratégie en évaluant l’« efficacité opérationnelle » de leurs actions. Ce principe assure la création de valeur : on peut vérifier que les capitaux investis sont rentabilisés, entraînant un résultat supérieur aux ressources engagées, ce qui est bénéfique au développement de l’entreprise.
Pour atteindre les objectifs fixés, le manager doit gérer de façon efficace la chaîne de valeur, dans un contexte où l’incertitude croissante de l’environnement conduit à multiplier les partenariats, tant internes qu’externes. Afin d’assurer la réussite opérationnelle du projet, il est nécessaire non seulement d’intégrer l’ensemble de ces participants, mais aussi de respecter l’organisation matricielle mise en œuvre.
La norme ISO 10006 « lignes directrices pour le management de la qualité dans les projets » est l’un des outils que peut mobiliser le manager. Elle précise qu’un projet est un processus qui consiste à coordonner et maîtriser des activités planifiées dans le but d’atteindre un objectif défini et répondant à des exigences spécifiées de délais, de coûts et de ressources. Dans ce contexte, la médiation peut venir au secours des chefs de projets.
La médiation pour faciliter les projets complexes
La gestion d’un projet complexe se déroule nécessairement dans un environnement contraint. Il faut à la fois respecter des objectifs de performance, de qualité technique, de délai imparti, économiques et organisationnels, auxquels vient nécessairement se confronter la gestion des intervenants internes et externes.
À ma connaissance, ce dernier point n’a pas fait l’objet d’études approfondies dans la littérature. En particulier, la question de la nécessité d’intégrer un médiateur dans les projets complexes n’a pas été traitée. Intervenant supplémentaire, son rôle serait d’anticiper et en traiter l’ensemble des dysfonctionnements et des conflits qui pourraient émerger. Cette solution induirait la mise en place d’un comité de pilotage chargé du suivi des opérations dans lequel le médiateur serait intégré.
Concrètement, qu’est-ce que la médiation ?
Les origines latines de la médiation définissent le concept de l’interposition (intercessionis), qui permet d’assurer le dialogue. Mais assurer un dialogue signifie aussi conduire le dialogue, en assurer la qualité et le rétablir lorsqu’il est rompu. Tout cela sur une longue période dans le respect du continuum et du timing du projet.
Concrètement la médiation est assurée par un tiers neutre, indépendant et impartial. Il s’agit d’établir une relation afin de permettre la compréhension d’une situation et de résoudre les incompréhensions et les conflits. La médiation fait partie des modes alternatifs de résolutions des conflits et peut être mise en œuvre à tous moments, aussi bien lors de l’accompagnement d’un projet complexe ou lors de conflits ouverts entre les parties.
De fait, la théorie cognitive appliquée au modèle de gouvernance fixe l’apprentissage et la création de la connaissance initiée au sein des entreprises et révèle toute sa pertinence dans le cadre du management de projets complexes. La médiation appliquée aux projets complexes devient naturellement un des facteurs nécessaires à la bonne conduite des projets et participe, par les effets de cohésion induits, à la réussite des projets.
Des médiations de projets au sein des entreprises ?
Les projets complexes sont généralement des projets très sensibles, voire primordiaux pour l’avenir de l’entreprise. Une fois engagés, ils sont budgétés. Or, il arrive qu’ils échouent. Un échec est non seulement mal vécu par les équipes en charge du projet, mais il a en outre un coût qui peut être particulièrement important. L’expérience de la Deutsch Post est en cela particulièrement édifiante. L’annulation du projet SAP mené par IBM pour le compte de DHL, filiale de la Deustche Post, a conduit cette dernière à passer en 2015 une perte exceptionnelle de 348 millions d’euros, dont 308 millions d’euros liés aux investissements qui ne seront jamais utilisés. Heureusement toutes les annulations de projets ne produisent pas des effets aussi désastreux.
Les décisions à prendre et les difficultés auxquelles seront confrontés les responsables de projets, qui sont la plupart du temps des techniciens, ne peuvent se limiter au suivi d’une planification structurelle mais potentiellement inadaptée à l’évolution de l’avancement du projet. Alain Fernandez a clairement étayé ce principe :
« En laissant ces décisions sous la responsabilité exclusive des chargés de la réalisation technique, comme c’est trop souvent le cas, il ne faut pas être surpris lorsqu’au final le projet répond précisément aux exigences techniques, mais se tient bien loin des ambitions initiales de création de valeur. »
Pour autant, il ne faut pas basculer vers un autre extrême où le responsable du projet serait un généraliste. Vincent Giard et Christophe Midler sont sans équivoque sur ce point :
« Le challenge actuel de l’organisation des firmes n’est donc nullement, comme on le croit trop souvent, de remplacer la domination du spécialiste technique par celle du généraliste projet. C’est au contraire de développer de manière concomitante et articulée ces deux logiques complémentaires. »
La médiation de projets : un atout en interne
Introduire la médiation de projet consiste avant tout à prévenir tous dysfonctionnements dans la gestion du processus et les potentiels conflits entre les membres de l’équipe. Cette mise en place conduit à assurer, de façon concomitante, un dialogue entre les membres de l’équipe, ce qui est aussi un atout dans le cadre du respect de la politique RSE de l’entreprise.
La médiation telle qu’elle est habituellement mise en œuvre peut aussi être un outil pertinent au sein de l’entreprise. L’usage de ce processus dans l’entreprise permet de gérer les désaccords et les conflits existants ou naissants entre les individus qui composent l’entreprise. Il permet notamment de rétablir la confiance entre les membres de l’équipe qu’ils soient des salariés ou des intervenants externes.
Daniel McAllister a établi que les relations entre les managers et les salariés des entreprises sont basées sur la confiance et que ce facteur influence la performance des équipes et de l’organisation. Or comme le font très justement remarquer Alice Le Flanchec, Jacques Rojot et Catherine Voynnet Fourboul, « il apparaît que la médiation joue un rôle fort sur la dimension cognitive de la confiance ».
La médiation renforce la gouvernance
Ce principe de management par la médiation est rarement appliqué par les entreprises mais présente un intérêt dans la mesure où il permet de consolider le deuxième axe du modèle de gouvernance, la théorie contractuelle, en augmentant la propension de réussite des projets complexes (mise en place de processus de digitalisation des organisations, évolution des systèmes d’information, restructuration des entreprises, conduite du changement…). Les coûts engagés pour mener ces projets sont particulièrement élevés. Il est donc nécessaire d’anticiper les incidences financières de l’échec d’un tel projet, ainsi que les conséquences humaines de l’échec du travail et de l’engagement des équipes impliquées.
Gérard Charreaux a défini pour la gouvernance des entreprises « les règles du jeu managérial ». Ce principe appliqué aux organisations peut être adapté au management des projets complexes, dans la mesure où l’échec de leur mise en œuvre a un impact négatif sur les modes de gouvernance des dirigeants.
Projets complexes : un coûteux taux d’échec
Une étude du Standish Group de 2013 révèle le taux de réussite des projets complexes : 39 % des projets sont livrés dans les délais, en respectant le budget et les objectifs ; 43 % sont livrés avec du retard, des dépassements de budget ou ne respectent pas les objectifs visés ; 18 % échouent purement et simplement.
Il serait intéressant de rapprocher ces statistiques du taux de réussite des médiations de projets. Malheureusement, aucun résultat n’est communiqué sur ce mode opératoire, seul le taux de réussite des médiations conventionnelles est connu. Ces dernières sont des médiations réalisées à l’initiative d’une des parties à un conflit. Leur taux de réussite, selon le centre de médiation et d’arbitrage de Paris est de 82 % en 2016, 70 % en 2015, 70 % en 2014, 72 % en 2013. Ces statistiques font ressortir un fort taux de réussite lié au processus de médiation.
Une grande marge de progression
Ce constat laisse entrevoir une possibilité d’améliorer le taux de réussite des projets complexes. À la différence des médiations contractuelles, les médiations de projet assurent une gestion anticipée des dysfonctionnements et des conflits intra-projet. Elles sont en effet organisées à titre préventif et actionnées à la demande des participants. Leur environnement est celui de l’entreprise mais aussi celui de l’ensemble des intervenants liés au projet : sous-traitants, sociétés de services ou sociétés de conseils externes à l’entreprise, etc.
Pour être efficaces, ces médiations doivent toutefois être totalement intégrées aux projets complexes qu’elles accompagnent. Les médiateurs doivent être impliqués dès leur initiation, suivre le projet étape par étape, et bénéficier de l’information la plus complète et détaillée possible afin que leur intervention puisse être rapide, coordonnée, et suffisamment documentée pour être efficiente. C’est uniquement à cette condition qu’ils pourront jouer leur rôle, et anticiper les difficultés inhérentes au déroulement du projet, réduisant ainsi les risques d’échec.